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Un désaccord

Une jeune scientifique, doctorante, a partagé vingt conseils qu'elle aurait aimé recevoir lorsqu'elle a commencé sa thèse (1). Suite à cette publication, je lis sur le blog de mon père un billet qui a pour objectif de commenter, un à un, ces conseils (2).

Le premier conseil est le suivant :

Doctorante :
Maintain a healthy work–life balance by finding a routine that works for you. It’s better to develop a good balance and work steadily throughout your programme than to work intensively and burn out. Looking after yourself is key to success.

H.T :
Cette affaire d'équilibre justifie toutes les échappatoires, mot qui signifie en réalité "toutes les occasions de travailler moins que l'on pourrait".
Et puis, la distinction entre ce qui serait le "travail" et la "vie" a l'inconvénient, surtout quand c'est formulé comme ici, que le travail est quelque chose de fatigant, dont on se repose par ailleurs. C'est une idée très pernicieuse.
Je ne fais pas beaucoup d'exégèse, mais je repère ce mot de "burn out", au détour d'une phrase. Les pauves petits ; ménageons-les, sans quoi ils vont être fatigués, ce qui est très grave (on comprend que c'est de l'ironie). Oui, qu'ils prennent bien soin d'eux (encore de l'ironie).

Luttons avec enthousiasme contre le confort intellectuel ! Il faut d'abord dire que la préparation de la thèse est, au contraire, un moment merveilleux où ceux qui aiment les sciences peuvent se consacrer à cela quasi exclusivement, et sans doute pour la dernière fois de leur vie. Ils sont protégés du reste du monde par l'institution, ont très peu d'administration et de responsabilités, en dehors de leur travail, et c'est le moment où ils ont trois ans devant eux pour creuser un sujet. A chérir !

Pour ceux que les sciences n'intéressent pas, pourquoi se lancent-ils  dans la préparation d'une thèse ?


Lorsque je lis le conseil de cette jeune doctorante, je m'étonne également de voir l'opposition qui est fait entre le "travail" et la vie". Il me semble effectivement plus juste de remplacer "work-life balance" par "work-not work balance". Quand bien même cette précision aurait été apportée, je me permet un désaccord en ce qui concerne le reste du commentaire. Repoussons à plus tard la question de l'équilibre, et attaquons nous à la question du travail. Mettre en opposition travail et "vie en dehors du travail" aurait pour inconvénient de révéler que le travail est fatiguant et cette révélation serait pernicieuse.

Il me semble pas incohérent de prétendre que le travail (intellectuel en l’occurrence) est fatiguant. Je suis plus vif le matin que le soir, je dors toujours mieux après une journée bien remplie plutôt qu'après une journée passée à faire des tâches répétitives et peu stimulantes. Il me semble que c'est la manifestation de la fatigue. Est-ce pernicieux de dire que le travail est fatiguant ? Je ne vois pas le danger qui y serait associé. Est-ce dangereux de dire que le sport est fatiguant ? Que risque-t-on à le prétendre ? Que certains se découragent ? Est-ce que ces même personnes ne se seraient pas découragés également si on avait occulté ce fait ? Oui, pour moi le travail est quelque chose de fatiguant. Mais cela n'est pas grave. Au contraire même, cela me fait mieux dormir ! Et je n'ai pas l'impression d'avoir économisé des forces inutilement. Je me permet enfin de conclure que le travail est défini par le dictionnaire du CNRS comme une "activité humaine exigeant un effort soutenu".

Je reviens maintenant à la question de l'équilibre. L'analyse faite est qu'utiliser le mot équilibre serait une justification pour "en faire le moins possible". Pire, que cette recherche d'équilibre impliquerait un désintéressement vis à vis des sciences et/ou du sujet de thèse.

Bon : il faut avouer que le conseil est un peu bateau "Faites ce qui vous convient le mieux". Il serait sans doute un peu bêta de faire ce qui nous convient le moins, c'est certain. En revanche, je n'associe pas avec l"'équilibre" les défauts qui lui sont associés. Premièrement, l'équilibre n'implique pas une répartition égale du temps associé à chaque tâche y prenant part. Pour certains une séance de sport hebdomadaire est indispensable pour se sentir bien (Mens sana in corpore sano), pour d'autres le sport est une activité complètement superflue. J'ai un peu l'impression que ce conseil a été pris comme une injonction à travailler moins mais je ne le comprends pas comme cela.

Enfin, dans cette question d'équilibre, je retrouve une réflexion que je me fais très souvent : lorsque je rentre le soir, il m'arrive de développer un site internet, une application mobile, un petit logiciel. Pour certains, ces actions sont liées à une rémunération d'un employeur. Pas pour moi. Est-ce que je dois considérer cela comme du travail ? Lorsque je rentre le soir, j'aime à cuisiner des choses qui sortent un peu de l'ordinaire. Je fais du fromage, j'apprends de nouvelles techniques de cuisine. Pour certains, ces actions sont liées à une rémunération. Pas pour moi. Est-ce que je dois considérer cela comme du travail ? Ces choses ont toutes en commun de m'amuser. Tout comme mon activité diurne de doctorant.


Je lis, au sujet de cette question d'équilibre, le commentaire suivant:

H.T. :
Je le dis différemment : si ce que je fais m'amuse, pourquoi me forcerais-je à faire autre chose, d'éventuellement moins intéressant ?

Je réponds à cette question par une autre question, car c'est ce que l'on m'a appris à faire :

A.T. :
De nombreuses choses m'amusent. Pourquoi me forcerais-je à n'en garder qu'une seule et à abandonner les autres ?